Dragons : De l'autre cote du monde - chap 03

«Non, on ne veut pas de toi ici ! » Criait la petite fille qui faisait volte-face.
  Une autre la rejoignait, suivie de peu par un petit garçon à l'air renfrogné.
 « Tu n'as pas compris ? On joue pas avec les morts ! »
  Puis ils se tournaient alors que la petite Lizzie se retrouvait sans voix, debout sur ses petites jambes. Parmi ces silhouettes, elle put apercevoir le visage de ce jeune enfant à l'air triste ; Aaron.
 « On se réveille » Dit-il doucement.
  Étonnée de sa réponse, elle ne sut quoi dire, encore sous le choc du rejet qu'elle venait de subir. A présent, il était à côté d'elle comme par magie et la regardait de toute sa hauteur.
 « Réveille-toi, Lizzie » Répéta-t-il, mais cette fois avec la voix d'une femme.
  Lizzie fronça les sourcils et ouvrit les yeux, sous la voix berçante de la bienveillante Melwynn.
 «Bien dormi ? » Demanda-t-elle avec un ton attentionné.
  L'adolescente cligna lentement des yeux et prit une profonde inspiration.
 « On va dire, oui » Répondit-elle avec une voix enrouée avant de refermer un instant les yeux. Elle aurait souhaité dormir davantage.
  La jeune fille entendit un bruissement puis sentit une odeur familière. Elle rouvrit un œil pour regarder Melwynn qui était penchée face à elle et qui, toute fière, lui présentait un panier rempli de poissons fraîchement pêchés.
 « Regarde ce que j'ai rapporté pour le déjeuner » Lui disait-elle avec un grand sourire et un regard malicieux, suivie de près d'une Furie Nocturne qui avait été alertée par l'odeur appétissante du poisson.
  La jeune fille, qui demeurait silencieuse, ne put s'empêcher de sourire.

                                                                           ~†~

  Le poisson, dressé sur un bâton, rôtissait en douceur au feu de camp qui avait été allumé par les dragons. Lizzie regardait Melwynn faire un plat composé de tomates et de salades produits de son jardin. La jeune fille s'approcha pour l'aider.
 « Oh tiens, merci, jeune fille. Allons nous asseoir. »
  Et elles allèrent ensemble se poser autour du feu, entourées de multiples dragons venus soit pour mendier, soit pour découvrir la nouvelle venue. Ou bien les deux. Celle-ci d'ailleurs n'était pas à l'aise puisqu'elle s'avérait être prise entre deux museaux collés sur chaque côté de son visage. Des dragons minuscules plutôt connus sous le nom de Terreurs Terribles arrivèrent en un petit groupe et l'un d'eux s'empressa de la renifler puis de sauter sur ses jambes pour la fixer droit dans les yeux.Ils étaient vraiment tous en train de la prendre par tous les côtés. La jeune fille ne savait plus où se mettre et affichait sur son visage une expression tirée entre la crainte et la gêne, avec un rictus nerveux au coin des lèvres.
 « Euh... Melwynn ? » Appela-t-elle au secours d'une petite voix sans s'apercevoir qu'elle s'occupait des poissons grillés.
  Celle-ci la regarda alors et pouffa de rire avant de se lever de sa place et agiter les mains pour repousser les curieux qui s'agitaient.
 - Allez ouste ! Vous n'avez pas honte ? Ennuyer une demoiselle le jour de son arrivée et à l'heure du déjeuner, qui plus est ! File ! Ordonnait-elle à la bande qui se dispersa pour libérer une Lizzie toute retournée. Excuse-les, ils le font à chaque fois qu'il y a une nouvelle tête.
  Puis elle lui tendit son poisson, qu'elle accepta volontiers. La jeune fille se retrouva décontenancée quand elle s'aperçut qu'elle n'avait pas de couvert. Alors elle leva ses yeux dépités sur son aînée qui mangeait élégamment sa nourriture avec un morceau d'os de poulet pointu en guise de fourchette. Lizzie baissa ses prunelles sur son assiette d'argile cuite et aperçut le même cure-dent planté dans un morceau de tomate. L'adolescente entreprit alors de s'en saisir entre ses doigts délicats et de prendre cette bouchée de légume. Certains dragons, dont un Hideux Braguettaure, osèrent s'approcher de nouveau. L'une des têtes se baissait au niveau de celle de la jeune fille et la regardait manger tandis que l'autre était partie jusqu'à l'assiette et reniflait le contenu à distance discrètement. Lizzie s’apprêtait à prendre une bouchée de sa viande, mais la première tête s'en saisit avant elle, à sa plus grande surprise, ce qui détourna complètement son attention. Cela alors permit à la deuxième de profiter de la situation et de mettre son nez dans son assiette. Lizzie se retourna à nouveau en sentant son contact contre son bras et un poids peser sur ses genoux.
 « Ah mais ils sont deux ! » S'écria-t-elle en les regardant tour à tour tout en protégeant son plat.
 - Oui, ils sont deux têtes pour un même corps. Tu ne connais pas cette espèce ? Cela s'appelle un Hideux Braguettaure. Une tête souffle le gaz qui permet à la seconde de l'enflammer grâce aux étincelles qu'elle fait.
  L'adolescente écoutait attentivement sans quitter des yeux le dragon à la grande corpulence. Profitant que Lizzie soit tournée, Melwynn fit un grand geste de la main et le dragon s'éloigna pour laisser la nouvelle tranquille. Apaisée, Lizzie se remit confortablement sur son tronc de bois qui faisait office de banc.
 « Il y a combien d'espèces différentes ? » Demanda-t-elle, intéressée par le sujet abordé.
 - Oh, il y en a eu des espèces avant, et il y en aura bien d'autres après. Je ne pourrai jamais répondre à cette question, ma chère. Par contre, on en recense une vingtaine ici.
 - C'est déjà beaucoup !
 - Oui, pour un petit nid, ça l'est, affirma Melwynn. On dirait qu'avoir dormi t'a fait un grand bien. Tu me sembles... Plus présente.
  La jeune fille s'en rendit compte et en ressentit une légère honte. Alors celle-ci baissa les yeux en hochant légèrement la tête. Elle mangeait plus lentement son assiette quand un Terreur Terrible se tenta à venir mendier. Mais Lizzie savait que si elle commençait à donner un morceau à l'un de ces reptiles, les autres viendraient en faire de même pour rafler le reste. Cela lui rappelait les animaux de compagnie à Soleil Couchant. Elle regarda le petit dragon et leva sèchement le bras pour pointer une place plus distante.
 « File. »
  Surpris d'autant de fermeté, le petit reptile rentra la tête dans les épaules et se rendit à la place qu'elle avait désigné. Melwynn en était bouche bée, toute aussi surprise que l'animal, à tel point qu'elle ne se rendit pas compte qu'un des congénères du Terreur Terrible passa à côté d'elle et tel un ninja professionnel, parvint à s'emparer de la moitié de poisson qu'elle n'avait pas encore touché sans qu'elle ne s'en aperçoive.
 - Tu sais t'y faire avec les bêtes, commenta cette dernière effarée.
 - Les animaux de compagnie m'ont beaucoup appris, expliqua simplement Lizzie qui se remettait à manger son poisson sans pour autant quitter des yeux le petit dragon qu'elle avait repoussé.
 - Intéressant.
  Puis la femme âgée rabaissa la tête sur son assiette et s'aperçut de la disparition de son poisson.
 « Où je l'ai mis, mon poisson ? Oh Seigneur, je commence à perdre la mémoire maintenant... »
 - Peut-être l'avez-vous mangé sans vous en rendre compte ? Supposa sa nouvelle amie.
 - Peut-être bien, en effet. Et qu'est-ce que j'ai dit pour le vouvoiement ? Rappela-t-elle en lançant un petit regard se voulant réprobateur, ce qui fit sursauter la jeune fille qui culpabilisait aussitôt.
  Puis le silence retomba tout doucement et le son calmant du crépitement du feu de camp semblait prendre de l'ampleur. Lizzie réfléchissait en silence sur un sujet qu'elle pourrait aborder quand une question lui traversa l'esprit.
 « Tu as volé sur le dos d'un dragon, tout à l'heure... Comment fais-tu cela ? »
  La vieille dame la pointa avec un morceau de tomate, sourire aux lèvres :
 - Ca, nous y viendrons bientôt, ma chère ! Lui assura-t-elle en guise de réponse.
 - A... Ah oui ? Balbutia alors l'enfant qui n'était pas rassurée de la nouvelle.
 - Mais d'abord, on va devoir faire un gros travail sur toi. Tu n'es pas en état à faire quoi que ce soit actuellement.
  Ces mots furent comme des aiguilles qu'on enfonçait dans son cœur. Elle en resta figée. « Pas en état » ?
 - Me trouves-tu si faible que ça ? Demanda-t-elle d'une voix basse.
 - Non, bien sûr que non, s'empressa de répondre l'intéressée. « Faible » est un bien grand mot. Disons... Qu'ils ont fait de toi quelqu'un d'autre que ce que tu aurais dû être.
  La vieille dame avait posé son plat à côté d'elle et s'était tournée sur la jeune fille qui se trouvait pendue à ses lèvres.
 - Ces gens. Ils t'ont réduite à un être résigné de la vie, n'attendant que sa dernière heure et en constant mal-être. Je sais de quoi je parle, je suis passée par là aussi. Je pensais que je ne méritais rien, pas même de vivre jusqu'à que j'arrive ici et que je me découvre. J'étais morte puis j'ai rené de mes cendres. Lizzie. Si je devais te comparer à quelque chose, ce serait à un chiot. A l'heure où je te parle, tu es un chiot perdu et blessé, sans repère et sans mère pour le protéger...
  Elle s'était rapprochée et prenait gentiment ses mains.
 «Mais ce chiot, ce n'est qu'une façade. Ce chiot se révélera être une grande et fougueuse louve. » Finit-elle en étreignant ses mains dans les siennes.  «Et elle sera prête à tout pour protéger ceux qu'elle aime. Parce qu'elle s'est trouvée une meute qui l'a accueillie comme l'une des leurs. Tu verras. Tu libéreras la vraie personne enfermée là. »
  Ses deux doigts vinrent caresser son torse, à l'endroit de la croix celtique dessinée sur sa peau. Elle en profita pour l'effacer en frottant gentiment dessus avant de relever les yeux sur sa protégée. Celle-ci la regardait avec de grands yeux remplis d'émotions diverses. Melwynn ne put s'empêcher d'afficher un faible sourire sur sa figure grave afin de se radoucir, tandis qu'elle caressait la joue de sa cadette.
 «Ca ira, tu n'as plus à t'inquiéter. Mais c'est à toi de décider si tu veux t'en sortir. Personne ne te force à faire quoi que ce soit. La vie t'a donné une seconde chance, à toi de la saisir. Tu as le droit de vivre comme bon te semble à présent. »
  L'enfant hocha la tête puisque les mots restés coincés dans sa gorge. Après d'interminables secondes, son aînée se leva, rassasiée.
 « Excuse-moi de ne pas rester plus longtemps après cette conversation, mais je dois voyager aujourd'hui », expliquait celle-ci tandis qu'elle fouillait dans les tiroirs pour trouver un carnet et un crayon fait à partir de bois, de ficelle et de charbon. « J'ai trouvé une île où je pourrai chasser quelques animaux afin d'obtenir du cuir et... Et j'ai trouvé des Gronks sauvages, alors je vais en profiter pour les étudier de plus près. »
 - Des Gronks ? Osa-t-elle demander.
 - Une espèce de dragon mangeur de pierres. Tu en sauras plus dans la bibliothèque si jamais tu t'ennuies, répondit Melwynn en indiquant l'étagère faite à la main, abritant des livres plus ou moins épais, tandis qu'elle ramassait son arc et des flèches avant de se précipiter sur le dos de son dragon. Je serai de retour dans la nuit. Fais attention à toi.
  C'était plutôt Melwynn qui devait faire attention, pensait Lizzie en silence. Après tout, c'est elle qui partait voir des dragons mangeurs de cailloux.
 « Toi aussi », se contenta-t-elle de répondre.
  Sans tarder, la vieille aventurière s'envola en criant :
 « Bonne journée ! »
  La regardant partir, elle maugréa :
 « Oui, j'aimerai bien y croire. »
  Si la troupe de dragons ne la compressait pas aussitôt pour mendier de nouveau, à son grand désespoir. Elle lâcha alors un soupir avant de laisser l'assiette d'argile par-terre et de s'éloigner des créatures venant renifler son contenu, qui s'avéra être inexistant. Lizzie jetait un regard curieux sur la Furie Nocturne. L'animal s'occupait d'éloigner les troubles-fêtes avant de s'envoler pour aller se restaurer à son tour. L'adolescente contempla ce qu'elle avait autour d'elle et s'aperçut que les étagères étaient jonchées d'ouvrages sur différentes espèces de dragons. L'humaine s'en approcha pour parcourir la liste des yeux.
 « Cauchemars Monstrueux ; Dragons vipères... Hideux Braguettaure. »
  Ce dragon lui avait tapé dans l'oeil avec la mauvaise farce qu'elle avait subi quelques minutes plus tôt et à présent, elle voulait en savoir davantage sur cette espèce bien mystérieuse. Elle opta pour ce dragon-ci puis alla s'asseoir près du feu de camp. La demoiselle ouvrit l'ouvrage et commença à lire les écrits.
 « Classe mystère. Ce dragon se compose de deux têtes pour un même corps. Mesure 12mètres de long en moyenne. Les têtes ont des personnalités différentes, ce qui peut provoquer des conflits entre elles. Cependant, elles s'unissent lorsqu'il s'agit de défendre une cause, un territoire... Alors une tête souffle un gaz épais et âcre pour que la deuxième l'enflamme en provoquant des étincelles. Ils aiment se tapir dans un nuage de fumée ou de gaz pour prendre en embuscade leur victime. »
  Melwynn lui avait dit concernant leurs flammes. Il s'avérait que davantage d'informations étaient écrites sur ces nombreuses pages, enrichies par des croquis de l'animal sous des angles diverses, que ce soit en action ou au repos... Les mesures étaient notées, tout comme la vitesse, la force, puissance de feu... Presque tout était décrit au détail près, même certaines attaques dont une qui interpella la petite curieuse.
 « L'Hideux Braguettaure peut se rouler en boule en mordant ses queues respectives et s'enflammer le corps entier puis charger afin d'éliminer la menace sur son passage. »
 « Fascinant » Murmura la jeune fille.
  Celle-ci continuait de lire et de regarder les croquis tout en jetant des coups d'oeil sur les spécimens vivants autour d'elle. Lizzie put voir un concerné se disputer non loin d'elle, chaque tête se mordillait pour raisonner l'autre puis, résignées, elles s'arrêtaient peu de temps après. Avec tout ce qu'elle venait de lire, elle voulait en apprendre davantage sur les autres dragons. L'enfant se leva pour ranger le livre et éventuellement en prendre un autre sur une espèce différente. Elle voulait apprendre un peu de chaque bouquin, histoire d'avoir, selon elle, les bases.
  Quand elle se saisit d'un livre, elle entendit un rugissement furibond derrière elle. La celte sursauta et se retourna vivement, agrippée au bouquin. Un dragon avait marché malencontreusement sur la patte d'un autre et s'avérait lui avoir fait mal à cause du poids exercé dessus. Il s'agissait d'un Cauchemar Monstrueux furieux face à un autre dragon de taille égale dont elle ne connaissait pas le nom. Ensemble ils faisaient un cercle comme deux félins cherchant le moment opportun pour frapper l'adversaire. N'ayant jamais assisté à un combat entre reptiles volants, l'adolescente était apeurée et ne savait pas quoi faire. Mais elle sentait qu'elle devait sortir de la maison au plus vite avant que l'un d'eux ne se décide de refaire la décoration façon cendres. Elle ne quittait cependant pas des yeux les deux querelleurs en gardant précieusement le bouquin contre son cœur. Son regard inquiet faisait la navette entre eux deux qui se grondaient et se lançaient des regards noirs. Qu'est-ce qu'elle devait faire ? Elle était toute seule, Melwynn serait absente pendant un bon bout de temps et la Furie Nocturne n'était pas là pour calmer le jeu. Elle s'approcha du bord pour regarder l'IceBeast qui était alerté par l'ambiance meurtrière aux étages au-dessus.
 « Je vous en prie, venez ! Je ne sais pas quoi faire ! ». Était-ce  qu'elle devait dire ? Comprendrait-il ses mots ? Elle n'en savait rien. Son petit cœur battait sous le stress qui grandissait en elle.
 La Furie Nocturne revenait de sa chasse avec sa dernière prise dans la gueule qu'elle se préservait de manger. Elle volait au-dessus de l'étage où se trouvait Lizzie et s'aperçut avec effroi les deux dragons qui se jetaient l'un sur l'autre pour se donner des coups de crocs, de queue et de griffes. Le reptile en lâcha sa perche et rugit après la petite humaine qui était alors en train de crier après leur Alpha qui redressait le regard vers elle. Elle se décida alors de foncer sur elle afin de la secourir.
 L'enfant, en entendant le combat derrière elle, se retourna pour voir ce qu'il se passait. L'humaine fut frappée de plein fouet par la queue de l'un des combattants et lâcha le livre sur le coup. Son cri de douleur avait été étouffé et son souffle coupé par la violence de l'attaque qu'elle venait de subir. La Furie Nocturne ne réussit à l'attraper dans ses griffes de peu à cause de la soudaine attaque qui arriva entre elles. Celle-ci par instinct avait évité de peu le coup de fouet, ce qui l'avait stoppée dans sa course. L'animal la vit décoller du sol, entraînée par la vitesse de la queue et sous le choc, cria après elle. Lizzie se rendit compte bien trop tard qu'elle avait été soufflée de l'étage et, de ce fait, chutait à présent dans le vide à une vitesse fulgurante, incapable de crier à cause de son souffle qui lui avait été volé, sous les yeux surpris des reptiles. En osant tourner sa tête au-dessus de son épaule, son cœur rata un battement quand elle put voir en bas le Roi des Dragons se redresser pour la regarder tomber droit sur lui et ouvrir sa gueule, prêt à recevoir l'humaine en offrande.

                                                             ~†~

  Un garçon serrait nerveusement ses mains, penché sur le banc de pierre qu'il partageait avec ses camarades qui étaient encore tout sourire et, à en juger par leur odeur, toujours bien alcoolisés depuis la soirée. Deux d'entre eux chantonnaient des contines qu'ils avaient entendu durant la cérémonie en titubant. L'un des garçons de la bande était assez lucide pour venir s'affaler à côté d'Aaron et lui adresser la parole normalement.
 « Eh, mec. T'as pas fini ta petite crise ? Tu as fait la gueule toute la nuit. Il est déjà 14H et, j'sais pas, tu devrais être aussi joyeux que nous d'avoir sauvé une fois de plus notre village ! »
  Le jeune homme à l'expression indéchiffrable gardait les yeux rivés sur ses mains qu'il triturait.
 « Oui, je suppose... »
 - Alors, qu'est-ce que t'attends ? Demanda la fille qui s'asseyait à son tour, qui malgré être soûle avait écouté la conversation. Tu ne serais quand même pas triste de sa mort, si ? Aaron, ce n'est qu'une vie contre toutes celles des habitants et de leurs biens ! On doit fêter ça !
  On doit fêter ça ? C'était abjecte de penser ainsi mais il savait qu'il ne pouvait rien y faire. Les gens sont ancrés dans leur peur et ne voient pas plus loin que le bout de leur nez. Sa réflexion fut interrompue par l'exclamation de la deuxième fille qui semblait avoir eu une illumination.
 « Oh ! J'ai oublié que je devais aider ma mère à ranger les fournitures de la cérémonie ! »
 - Elle risque bien de te détruire cette fois-ci, Edewin, fit remarquer un deuxième garçon de la bande. Tu devrais filer et vite.
  Et sur ce conseil, la demoiselle partit à la hâte en les saluant vaguement, qu'Aaron avait pris soin de rendre, assis sur son banc de pierre, avant de regarder l'horizon. Le ciel était bleu et vide de nuage, et le soleil chaud brillait de mille feu. Tout semblait normal, mais cela ne l'était pas . Cette joie que nourrissaient ces gens le rendait malade, lui qui avait perdu quelqu'un de cher cette nuit. Ce qui le révoltait, c'est que même les parents de Lizzie avaient encouragé sa mort... Et tout ça pour quoi ? Une vulgaire histoire de pacte ?
  Mais surtout, la personne contre laquelle il était le plus révolté, c'était bien lui-même. Il n'avait pas eu le courage de lui porter secours.
 « Je ne veux pas mourir ! »
  Ce cri de déchirement, ce visage empreint de désespoir... l'avaient figé sur place et arraché son être. Il avait senti sa détresse comme si elle était la sienne... Quand bien même il avait été incapable de lui venir en aide. Il s'est juste contenté de faire comme les autres ; il a attendu sa fin arriver, impuissant. Le jeune homme regardait sa main vide. Il aurait voulu tendre cette main et arracher Lizzie de son cruel destin, repousser le mal, qu'il vienne du ciel ou de la terre... Il aurait fui avec elle. Mais cette main ne caressait que l'air puisqu'il n'avait pas saisi sa chance. Aaron s'était comporté comme un lâche et à présent, il n'avait plus que ses remords pour compagnie. Celui-ci alors se leva, ce qui stoppa la conversation de ses amis qui avaient tous rivé leurs yeux sur lui.
 « J'ai la migraine, je pense que j'ai trop bu... Je vais rentrer dormir. A une prochaine fois, les gars. »
  Et il n'attendit pas leur réponse pour partir.
  Lorsqu'il atteignit sa chambre, il avait le sentiment que son corps était lourd. Probablement dû à la fatigue. Ses yeux s'arrêtèrent sur son lit défait mais il n'avait pas le cœur à piquer un somme. Au contraire, son rythme cardiaque s'intensifiait tandis que sa respiration s'accélérait et que ses poings se serraient. Le garçon donna un violent coup de poing droit dans un pilier de bois installé là pour maintenir les fondations de son habitat. Sentant la douleur naître dans ses phalanges et se répandre dans sa main entière, il donna un second coup avec sa gauche. Cela apaisait à peine la colère qu'il ressentait. Alors il recommençait, hanté par les paroles de ses amis, de ses parents et des villageois.
 « Ce n'est qu'une vie contre toutes celles des habitants et de leurs biens ! On doit fêter ça ! »
  Les cris mêlés de rage et de douleur accompagnaient chaque coup, tandis que des perles d'eau salée frayaient leur chemin sur ses joues. Il revoyait ce doux visage, qu'il avait chéri en secret, éclairé par le bonheur d'être en la compagnie du petit garçon qu'il avait été. Il la revoyait sous le choc le jour où il l'avait rejetée pour revoir ce visage tendre empreint d'indulgence lorsqu'elle lui avait adressé la parole après toutes ces années qui les avaient séparés.
 « Pense plutôt à l'honneur que tu me ferais en allant t'amuser. Cela me ferait vraiment plaisir. »
  A cet instant, il ne savait pas encore les sentiments de la jeune fille les plus enfouis, la peur constante qui la gelait. Jusqu'à cet instant où il l'avait entendue hurler comme un appel au secours.
 « Je ne veux pas mourir ! »
  Aaron arrêta ses coups de poings, à bout de souffle. Le jeune homme regarda l'état de ses mains et les vit écorchées vives à cause du bois. Et nul doute qu'il aurait des entorses ou même des os cassés. Son visage se crispa. Cette douleur n'était rien comparé à ce que Lizzie a dû endurer comme souffrance entre les griffes de ces dragons. C'était légitime qu'il demande pardon à travers la sienne. A présent, il n'avait que ses yeux pour pleurer. Pressant ses blessures contre sa poitrine, il sanglota en silence, à genoux et face contre terre sur le parquet de sa chambre.